Il y a eu du Blues à Avoine

Si, si… Et ça c’est passé hier soir dans la cour de l’Atlantide, restaurant sans prétention mais sans doute le meilleur rapport qualité/prix de la région.
Et du Blues sans prétention aussi, mais qu’est ce que ça fait du bien l’absence de prétention sur une scène, quand on s’est fadé pendant des heures des pseudo clones de Robert Plant, de Phil Collins ou du Mick de Fourchette.
Blues familial donc avec Eole, formation du Sud profond puisque originaire de Descartes, composée du Papa, de la Maman et du fiston, préposés aux manches, et d’un cousin installé derrière les fûts. Tout ce petit monde a appris la musique sur le tas, sans passer évidemment par les conservatoires et autres jazz-academy alors ça sonne roots… pas de son trafiqué, pas d’écho camoufleur d’insuffisance, pas de fioritures, du simple, du gras, du lourd, du plaisir, brut de fonderie. Des « covers » évidement mais aussi des « compos » plutôt sympathiques et o combien rafraichissantes après ces brouettes de vieux tubes poussiéreux, sortis de la naphtaline par une programmation mortifère et sans imagination.
L’exemple parfait de ce qui pourrait être proposé dans un festival modeste, où la grenouille ne se voudrait pas plus grosse que le boeuf, où l’on s’occuperait plus de l’oreille et du coeur des spectateurs que du nombril du capitaine, où le Blues ne servirait pas seulement d’argument marketing (ce qui est difficile à comprendre puisque l’on nous répète à l’envi que « le Blues c’est pas vendeur, ça marche pas… »). Un festival où on ne laisserait pas sur le bas-côté des Delta Saints ou des Monkey Junk (deux groupes simplement énormissimes sur scène) au profit de niaiseries pop ou de « tributes » laborieux… Un rêve quoi.

PS : La preuve ultime qu’Eole est un bon groupe : ils sont chaudement recommandés, voire labellisés par le célèbre Jacky de Paulmy, l’homme avec 600 concerts au compteur.

Dominique

Nota Bene : Tout ce qui précède n’est que l’expression de mes propres sentiments et ne reflète en aucun cas une position officielle (ou officieuse) de l’Association « Les Cinquantièmes Rugissants », ceci étant bien sûr précisé à l’intention des quelques paranos qui font une crise d’urticaire à la vue de tee-shirts estampillés « 100 % Blues » ou qui s’étouffent de rage à la moindre critique. Et je précise aussi que la parole est ici libre et qu’il est tout à fait possible (et même bienvenu), après quelques clics (inscription obligatoire) de publier ci-après des avis contraires aux miens…

Pour ceux qui veulent découvrir Eole :

http://fr.myspace.com/525772294

Et pour ceux qui n’auraient jamais entendu parler de Jacky, voir ci-dessous le magnifique papier que lui a consacré Michel Embareck (et merci Fredo pour le « partage »).

Au bistrot de nulle part

Dans son petit bar paumé d’Indre-et-Loire, Jacky redonne une âme au village au son des concerts de blues et d’une légende où l’on croise les Beatles et Jean Gabin.

Par MICHEL EMBARECK Envoyé spécial à Paulmy (Indre-et-Loire)

En ces temps de surbooking au Pôle Emploi, des métiers pourraient ouvrir des perspectives. Bistrologue, par exemple. Profession à risques dont l’hygiénisme ambiant interdit la reconnaissance. Trop souvent assimilé au pochtron, le bistrologue se révèle aventurier des comptoirs, à la recherche d’un second chez lui. L’emploi tient de l’architecture d’intérieur, de la sociologie, du caritatif, du goût de l’authentique et de l’évangélisme. Dernier impétrant au gotha de la bistrologie, le bar de l’Union, à Paulmy (prononcer Pômi).

En tête du palmarès fluctuant de cette science de l’humanitaire figure bien entendu le Charlie’s à Missoula (Montana), où l’on a croisé James Crumley, Jim Harrisson, Deirdre McNamers et le capitaine du Rainbow Warrior. Derrière, au prix de sa légende, se hisse le Bird Cage de Prescott (Arizona). Un soir d’incendie, les clients déménagèrent le comptoir, classé monument historique. Maintenant, le bar de l’Union. Paulmy, Indre-et-Loire, 260 habitants, ni épicerie, ni boucherie, ni tabac, ni journaux. Dépôt de pain à 6 kilomètres, charcuterie à 8. Autant dire le kit de survie à perpète. Pas même un dernier Texaco comme dans une chanson de Lavilliers. Sur la place, une croix peinte au sol indique «la cabine téléphonique». Le seul endroit où passent les portables ! Signe de noblesse évident, les initiés l’appellent «Chez Jacky». A la table de cotation, la familiarité mérite d’autorité une étoile. Côté fréquentation pipole, le patron a tiré le gros lot : Walter Groves, 64 ans, «l’ancien capitaine du bateau des Beatles», comme on l’appelle ici. Tout de suite, ça vous désenclave le territoire.

Lambris ébréchés, tuyau du poêle qui bave la suie par-derrière le comptoir, fils électriques à démêler des toiles d’araignée, toilettes de l’autre côté de la place : le bar de l’Union est «dans son jus», dirait un agent immobilier. Dans son jus depuis 1985, date de sa reprise par Jacky Pineau, ancien professeur de cuisine en établissement technique. Au fond de la salle de restaurant, la mouche crevée dans le globe au-dessus des cinq mètres carrés dévolus aux musiciens, les familiers jurent l’avoir toujours connue. Ménage, époussetage, ripolinage, Jacky n’en a guère le temps.

Un solo de guitare séminal

Sous ses faux airs de Gainsbourg, il tient à lui seul ce village cerné par les bois, sous respiration artificielle. Repas ouvriers le midi, belote ou partie de dominos des vieux l’après-midi, organisation de trois brocantes annuelles, de deux concours de pétanque et, surtout, chaque samedi soir ou presque, un concert de blues-rock qui fait le plein. Quarante sets, en moyenne, pour une centaine de clients. Plus de la moitié des adultes de la commune additionnés de pèlerins cueillis à la ronde. Marchands de bestiaux, artisans, motards, enseignants, agriculteurs, «des prolos et des intellos», résume-t-il.

Sur la nappe à carreaux, un plat unique roboratif (couscous, choucroute, paella, cassoulet, précédé d’une soupe l’hiver), salade, fromage, tarte. Addition : 17 euros, vin en plus. Dans la vapeur des assiettes fumantes, ça parle fort, ça rigole, ça slalome entre les tables une bouteille à la main, ça chante et ça danse. En français comme en anglais. Surtout en anglais lorsque le groupe est réputé pour débobiner les classiques du rock.

L’autre samedi, à l’occasion du concert de Fortune Tellers, des Parisiens experts en reprises, même une très chic antiquaire britannique du canton se secouait les puces sur My Generation des Who. Ici, les stars s’appellent Philippe Ménard (l’ancien leader du groupe nantais Tequila), Malted Milk, Mannish Boys ou Xavier Pillac, des gars qui connaissent la route pour y taper le blues au carré depuis Mathusalem comme s’ils empruntaient le circuit des bastringues du Mississippi. Evidemment, le light show se résume à trois spots souffreteux (vert, jaune, rouge), mais le public sait ovationner un solo de guitare séminal ou un soulignement d’harmonica placé au bon moment. Comme là-bas. Cachet : de 200 à 300 euros pour trois sets d’une quarantaine de minutes, bière incluse et pause cigarette à l’extérieur parmi les spectateurs. Comme là-bas.

Le blues a incité Robert, ouvrier du bâtiment, à adopter Paulmy. «Au départ, le cadre m’a attiré. Ensuite, j’ai découvert un village où tout le monde se connaît, se tutoie, se respecte. Le samedi soir, ça bouge autrement que devant la télé ! L’été, lorsque les concerts ont lieu en terrasse, on prévient seulement les voisins qu’il y aura un peu de boucan !»

Selon Brigitte et Pierre, «Jacky entretient le lien social et la mémoire du village. Aux jeunes, il raconte de vieilles histoires du coin à sa façon. Gentiment. En éludant les querelles de famille. Un mec bien sans lequel Paulmy serait mort». Autre habitué, Bruno Boussard, photographe et graphiste, concepteur de plus de mille pochettes de disques dont toutes celles du label français Dixiefrog :«L’Union incarne le type même d’endroit où les concerts me remplissent de bonheur. Un lieu unique par son esprit, son ambiance, son décor. Il faut absolument le préserver. La première fois, j’y suis allé les mains vides. Depuis, chaque fois j’emporte un appareil.»

Les intimes de comptoir ne cachent pas leur admiration pour la façon dont Jacky a remonté la pente après avoir failli boire le fond. «C’est vrai, à une époque, j’étais tombé complètement pochtron, au point de ne plus faire la cuisine. Et trois paquets de Gitanes par jour ! Un matin, j’ai tout arrêté. Stop. Sans médocs, sans rien. Un an plus tard, je rejouais au foot. J’ai même appris à nager, mais en cachette, pour pas que les gamins du bled se foutent de moi !»

Fut un temps où des vedettes de calibre hollywoodien fréquentaient l’Union. A la fin des années 50, Guy Ferrier, un photographe de mode marié à un mannequin, s’était installé dans une ferme au lieu-dit La Gachetière. L’endroit avait séduit certains de ses amis parmi lesquels la comédienne Odette Laure et son mari Jean Valmans, initiateurs de Quand on est deux, première sitcom de la télé française, en 1962. Ils achetèrent à leur tour une ferme au lieu-dit La Mitellerie. L’actrice ne rechignait pas à donner de la voix au sein des chœurs de l’église ou à parrainer la nouvelle pompe à bras des pompiers ! Chez eux, à «La Galerie», se retrouvaient les acteurs Jean Le Poulain et Guy Trejean, le metteur en scène Jean-Laurent Cochet. Très fréquemment, ils accueillaient Dany Robin, qui tourna sous la direction de Marcel Carné, René Clair, Gilles Grangier, Julien Duvivier ou Hitchcock. Gérard Sabat, le rigolo des Compagnons de la chanson, s’était installé, lui, à La Chauvelière, qu’il ne quitta qu’à la fin des années 90. Mais l’hôte le plus célèbre de l’Union fut Jean Gabin, cousin de Guy Ferrier. «Les terres de La Gachetière lui servaient de poulinière, se souvient un enfant du village, Jean-Marie Charcellay. J’y suis allé en juillet 1970, avec une jambe dans le plâtre, pour épandre de l’engrais dans les prés. Ensuite, je me suis occupé de ses chevaux en Normandie.»

 

Bourlingueurs de Sa Majesté

Aujourd’hui, le show-biz y est représenté par Walter et Jean Groves, la soixantaine, bourlingueurs de Sa Majesté «qui n’ont pas choisi Paulmy mais que Paulmy a choisi». Lui ne fut pas «le capitaine du bateau des Beatles», comme le colporte la légende locale, mais le skipper du Topaz, un ketch de 65 pieds appartenant à leur producteur, sir George Martin, surnommé «le cinquième Beatles». «Nous n’avons jamais accueilli le groupe à bord, car il n’existait pas assez de cabines pour les loger avec leurs gardes du corps. En revanche, et jusqu’à ces dernières années, Paul McCartney téléphonait fréquemment. George Martin nous a raconté de nombreuses anecdotes à leur sujet, mais celles-ci demeurent trop intimes… La première fois où ils se sont présentés devant lui, musicien de formation classique, il a refusé de les signer, jugeant le groupe horriblement mauvais. Ils sont alors revenus et, là, à l’écoute d’un arrangement pop, George a compris qu’un génie musical habitait John et Paul, se souvient-il. A de nombreuses reprises, nous avons embarqué des musiciens parmi lesquels les Beach Boys, dont George reste très proche. La nuit, tout le monde jouait sur le pont ! En 2000, cet homme d’une gentillesse confondante nous a fait inviter lors d’une réception donnée à Buckingham Palace en présence de la reine. Il y avait les Beach Boys, d’autres groupes et puis, Brian May, le guitariste de Queen qui, perché sur un toit, a joué God Save The Queen !»

Les Groves préfèrent la compagnie des autochtones à celle de leurs concitoyens, nombreux dans les environs et qui forment un cercle hermétique même lors des fêtes de village. «Les gens d’ici, sympathiques, honnêtes, francs, savent profiter du temps et apprécier les produits du terroir. Ils nous ont initiés à l’art de vivre à la française. Et combien de soirées extraordinaires chez Jacky ! Ce lieu correspond exactement à l’idée que nous nous faisions de la France après avoir sillonné les océans. Si nous étions plus jeunes, reprendre l’Union constituerait un formidable challenge.»

Car Jacky fera officiellement valoir ses droits à la retraite fin septembre. Nul ne sait si l’établissement lui survivra. La communauté de commune s’est déclarée prête à acquérir les murs avant d’effectuer les (gros) travaux de mise aux normes. Reste à trouver un homme-orchestre, cuisinier, barman, serveur, animateur sociomusical rural qui sache perpétuer l’état d’esprit d’un confetti de paradis. «Pour qui aime la chasse, la pêche, les champignons, les balades en forêt, l’air pur, le calme et… le blues, c’est un endroit idéal entre le Futuroscope et la Brenne», affirme le patron. Avant d’ajouter : «D’accord, il faut être un peu solitaire… » Comme la mouche dans le globe à l’aplomb du chanteur.

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